La physique quantique repose sur un ensemble de théories physiques relativement récentes, nées entre les années 1900 et 1930, et cherchant à expliquer le comportement des atomes et des particules. À l’époque, c’est une véritable révolution scientifique, et elle a, dès lors, changé notre manière de voir le monde. Aujourd’hui encore, ses principes contre-intuitifs, s’appliquant qui plus est à des échelles microscopiques, exaltent les imaginaires.
La science-fiction, notamment, n’a cessé de s’inspirer de ses concepts pour en faire naître les scénarios les plus rocambolesques, parfois loin de toute réalité scientifique.

Alors évidemment, quand on a commencé à parler « d’ordinateur quantique », il y a quelques années, les médias se sont empressés de prédire la chute de nos systèmes de sécurité. Certains ont même imaginé la disparition simultanée de tous les mots de passe du monde. Et ce, à cause d’une notion qu’en physique quantique, on appelle la « superposition des états ». Puisque les qubits, contrairement aux bits, peuvent avoir tous les états à la fois, alors un ordinateur quantique serait capable de déchiffrer tous les mots de passe d’un seul coup…

Bien qu’en réalité, cela ne soit pas aussi simple, l’ordinateur quantique est venu renforcer l’idée déjà très populaire qu’un ordinateur est capable de tout. Mais pour en comprendre plus justement le fonctionnement, il faut repartir de la physique quantique et deux de ses notions essentielles.

LA PHYSIQUE QUANTIQUE EN QUELQUES MOTS... OU PLUS

Dans le monde quantique, une particule peut être dans plusieurs états à la fois. Par exemple, un électron qui tourne autour d’un atome peut se trouver sur tous les points de l’orbite, à plusieurs vitesses en même temps. Il n’est ni à un point A, ni à un point B, il a simplement une certaine probabilité de se trouver au point A et une certaine probabilité de se trouver au point B.
Cette indétermination prend fin lorsqu’on observe l’électron et que l’on devient, alors, capable de mesurer sa position et sa vitesse avec précision.

C’est cela, la fameuse superposition des états. Schrödinger et son chat illustrent très bien ce principe : tant que le chat est enfermé dans sa boîte, il est à la fois mort et vivant. Dès l’instant où l’on ouvre la boîte pour l’observer, il est soit mort, soit vivant. On fixe ainsi son état de façon définitive.

Une autre propriété étonnante de la physique quantique, c’est l’intrication, qui régit la matière à l’échelle microscopique. Deux particules, si elles ont interagi dans le passé, peuvent former un système lié, même séparées de plusieurs mètres… Ou d’années-lumière ! Ce qui arrive à l’une arrive à l’autre et ce, de manière immédiate. Si on effectue des mesures similaires sur ces particules, leurs résultats seront toujours corrélés.

Et là, ça coince un peu. Comment ces particules, éloignées l’une de l’autre, pourraient se transmettre instantanément des informations ?

Dans le monde quantique, une particule peut être dans plusieurs états à la fois. Par exemple,
un électron qui tourne autour d'un atome peut se trouver sur tous les points de l'orbite, à plusieurs vitesses en même temps.

Selon la théorie de la relativité, aucune information ne peut être transmise à une vitesse supérieure à celle de la lumière. C’est le paradoxe EPR qui tient son nom de ceux qui l’ont formulé : Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen. Pour le dépasser, il faut donc admettre que les particules ne forment non pas deux systèmes indépendants échangeant des informations, mais un seul et unique système physique.

C’est sur ces deux notions que reposent les recherches actuelles sur l’information quantique. Le prix Nobel de physique vient d’ailleurs d’être remis à John Clauser, Alain Aspect et Anton Zeilinger dont les travaux ont permis, dans les années 80, de prouver la réalité de l’intrication quantique… et d’ouvrir la porte à la création d’un ordinateur quantique !

C'EST QUOI, UN ORDINATEUR QUANTIQUE ?

Partons du fonctionnement d’un ordinateur classique. Il traite des informations élémentaires, des bits, qui ne peuvent présenter qu’un seul des deux états possibles : 0 ou 1. Les ordinateurs quantiques, en revanche, sont basés sur des qubits (des quantum bits) qui peuvent prendre une infinité de valeurs correspondant à la superposition de 0 et de 1. Plus exactement, le qubit vaut à la fois 0 et 1 avec une certaine probabilité pour chacune de ces valeurs.

Avec 4 bits, un ordinateur classique peut donc traiter un état parmi 16 états différents (0000, 0001, 0010, 0011, …) tandis qu’avec 4 qubits, un ordinateur quantique serait capable de traiter ces états simultanément, les qubits étant dans une superposition de tous ces états.

Un ordinateur quantique, c’est donc un ordinateur qui peut, en théorie, effectuer les mêmes calculs qu’un ordinateur classique, mais beaucoup, beaucoup plus rapidement. Il permettrait alors de réaliser des opérations aujourd’hui impossibles car trop longues. Par exemple, il faudrait plusieurs milliers d’années à un ordinateur classique pour factoriser le produit de deux nombres premiers de 200 chiffres chacun, là où un processeur quantique n’aurait besoin que de quelques heures

Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas de savoir comment fabriquer un ordinateur quantique, mais d’en fabriquer un plus grand que ceux qui existent déjà.
Nous ne disposons, pour l’heure, que d’un petit nombre de qubits, insuffisant pour réaliser des calculs complexes. Par ailleurs, le contrôle des qubits est difficile, à cause de la grande instabilité des effets quantiques. La lumière, la chaleur, les champs électriques ou magnétiques peuvent altérer les phénomènes de superposition et d’intrication et, ainsi, limiter les possibilités de manipulations et de stockage des qubits. On appelle ça la décohérence.

Aujourd'hui, l'enjeu n'est pas de savoir comment fabriquer un ordinateur quantique,
mais d'en fabriquer un plus grand que ceux
qui existent déjà.

C’est pour cette raison que les prototypes actuels ont été réalisés dans l’obscurité la plus totale, l’ultravide et à température très basse. Et même si cela préserve les effets quantiques plus longtemps, ce n’est pas encore suffisant.

Voilà pourquoi, de nos jours, personne ne peut prévoir avec certitude l’apparition d’un ordinateur quantique opérationnel.

AUJOURD'HUI, OU EN EST-ON ?

Comme dit plus haut, la superposition des états et l’intrication quantique ont donné naissance à deux sous-branches de l’informatique quantique : le calcul et la communication quantiques.

Le calcul quantique anime plutôt les esprits occidentaux, désireux de concevoir ce fameux ordinateur quantique universel. De fait, les progrès récents dans ce domaine sont prometteurs :
  • IBM, notamment, a dévoilé en 2021, Eagle, un processeur quantique contenant 127 qubits. Si à ce stade des recherches, celui-ci n’a pas été conçu pour réaliser des calculs « utiles », il tend à prouver que l’approche technologique développée par la firme et basée sur des supraconducteurs, est pertinente.
  • En Australie cette fois, Quantum Brillance, une entreprise australo-allemande, a récemment assemblé un ordinateur quantique refroidi à température ambiante. Jusqu’alors les prototypes existants devaient être maintenus à une température très basse (-196°C) pour être fonctionnels.
  • Enfin, de notre côté du globe, la start-up française Alice et Bob s’est démarquée dans la course à l’ordinateur quantique en révélant un qubit immunisé contre le retournement d’état, le « bit-flip ». Contrairement à Google ou IBM qui tentent d’augmenter le nombre de qubits pour corriger des erreurs, elle cherche à développer un qubit supraconducteur qui ne fait pas d’erreur. Ce qubit parfait ou « qubit de chat » (en référence au chat de… Schrödinger) pourrait être prêt dès 2023. Pour l’instant, Alice et Bob assure pouvoir faire la démonstration d’un qubit de chat résistant au bit-flip pendant 8 minutes. Un record, sachant que les premiers essais se limitaient à quelques millisecondes.

La seconde branche de l’informatique quantique, c’est la communication quantique.Des équipes de chercheurs s’appliquent à utiliser les lois de la physique quantique, notamment celle de l’intrication, pour imaginer de nouvelles méthodes de communication plus rapides, plus fiables et surtout, non-observables. Elles s’appuient notamment sur le protocole de la téléportation quantique, consistant à transférer un état quantique d’un endroit donné vers un autre, sans transmission de matière ou d’énergie. L’état d’un qubit intriqué est ainsi partagé avec un autre. Toute modification des propriétés de l’un modifie instantanément celles de l’autre.

C’est grâce à ce principe, également, que toute tentative d’interception ou d’intrusion serait immédiatement décelée. Les propriétés d’un qubit ne pouvant être mesurées sans en changer l’état, il serait en effet impossible pour un pirate d’en extraire les informations ou d’en faire des copies sans laisser de trace. C’est ce qu’on appelle la règle de non-clonage.

Aujourd’hui, de nombreuses tentatives de transfert de qubits se font par l’intermédiaire de fibres optiques, mais la téléportation reste limitée. Au-delà d’une centaine de kilomètres, le signal s’atténue ou se perd.

Malgré tout, quelques progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années :

Il serait impossible pour un pirate d'en extraire
les informations ou d'en faire des copies
sans laisser de trace.

Encryption, illustration réalisée
par le dessinateur Randall Munroe sur le site xkcd.com

  • En 2016, des chercheurs chinois sont parvenus à mettre en orbite Micius, le tout premier satellite de communication quantique au monde. Ils ont alors réussi à transmettre des photons intriqués à deux stations basées au sol et séparées de plus de 1200 kilomètres.
  • Tout récemment, en 2022, des scientifiques de QuTech, une collaboration entre l’Université de technologie de Delft et l’Organisme néerlandais des sciences appliquées TNO, ont eu l’idée d’introduire un relais afin d’allonger la portée de la communication entre deux qubits, communément appelés Alice et Charlie. Bien que non reliés physiquement, ils ont pu se transmettre un message par l’intermédiaire de Bob, un troisième larron directement lié à l’un et l’autre par fibre optique.

Même si ces technologies sont encore à l’état expérimental, il faut, dès à présent, imaginer l’informatique de demain, créer des algorithmes adaptés à l’ordinateur quantique et développer des compétences nouvelles liées à leur exploitation.

Il est aussi nécessaire de s’en protéger immédiatement et d’assurer le maintien du niveau de sécurité de nos systèmes actuels et futurs. C’est pourquoi des chercheurs du monde entier travaillent depuis déjà de longues années à l’élaboration d’algorithmes dits « post-quantiques », afin de répondre à des menaces qui n’existent pas encore (tout à fait).